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le silence des lois - Page 2

  • Une nouvelle figure de style administratif

    L'anaphore, c'est cette figure de style consistant à commencer chaque phrase par les mêmes termes, dont J. Véronis a montré la résurgence pendant la campagne présidentielle. J'ai écrit que l'on trouve depuis longtemps des discours recourant à cette figure de rhétorique. Mais son utilisation dans une circulaire du Premier ministre me semble plus novatrice... et inquiétante.

    "Faire en sorte que la loi s'applique rapidement, efficacement et de façon conforme à son esprit est un impératif démocratique. Chaque disposition législative qui demeure inappliquée est une marque d'irrespect envers la représentation nationale et de négligence vis-à-vis de nos concitoyens.


    Faire en sorte que la période qui sépare la publication de la loi de l'intervention des mesures réglementaires d'application soit la plus brève possible est facteur de sécurité juridique. Dans l'attente de la parution des textes réglementaires, déterminer quel est le droit applicable ne va pas sans incertitude, parce qu'il peut être délicat de faire le départ entre les dispositions de la loi nouvelle qui sont suffisamment précises pour être immédiatement applicables et celles qui ne pourront recevoir application qu'après l'intervention des mesures réglementaires qui leur sont nécessaires.


    Faire en sorte que soient rapidement prises les mesures réglementaires nécessaires à l'application de la loi est une condition de la crédibilité politique des réformes engagées par le Gouvernement. Le vote de la loi n'est pas l'achèvement de la réforme. Pour traduire la réforme dans les faits, il faut investir dans sa présentation, sa mise en œuvre, son suivi et son évaluation. Il faut, déjà, veiller à prendre rapidement les décrets d'application des lois."

     

    C'est l'extrait le plus frappant de la circulaire du 29 février 2008 du premier ministre, publiée au JO du 7 mars.

    Sur le fond, rien de nouveau. Regardez la circulaire Raffarin de 2003, qui indiquait déjà l'exigence de prendre les textes règlementaires dans les 6 mois suivant la publication de la loi. L'idée de réunions interministérielles pour définir les responsables et le calendrier d'adoption de ces textes date d'une du 23 novembre 1984. Voyez aussi dans le même genre le point 7 de la circulaire Juppé de janvier 1997. 

     

    Sur la forme, ce qui frappe, par exemple en comparant avec le style bien techno des 2 circulaires que je lie, c'est le ton de discours de campagne de la circulaire Fillon, avec toutes les approximations conceptuelles qu'il permet. Et des répétitions un peu lourdes dans le même paragraphe : " Faire en sorte que soient rapidement prises les mesures réglementaires nécessaires à l'application de la loi (...) Il faut, déjà, veiller à prendre rapidement les décrets d'application des lois"

    Franchement, surtout quand on répète des solutions qui ne marchent pas depuis 20 ans, ne faudrait-il pas s'interroger sur les causes? 

    La circulaire parle d'irrespect envers la représentation nationale.

    Tout n'est-il en effet pas là?

    Irrespect vis à vis du Parlement en lui faisant voter systématiquement selon la procédure d'urgence des lois mal pensées et peu discutées, qui nécessitent avant même leur entrée en vigueur le vote de nouvelles lois? C'est souvent au stade des décrets d'application que de grands principes un peu fumeux doivent recevoir une traduction juridique concrète. Si le principe n'a pas été réfléchi, parce que les réformes sont cosmétiques, d'affichage ou simplement trop partielles et sans cohérence avec d'autres pans du droit, comment voulez-vous en assurer l'application sérieuse.

    Le stade règlementaire peut certes être l'occasion pour l'administration de freiner une réforme politique qu'elle n'a pu prévenir au stade législatif. Une telle attitude n'est pas légitime.

    Mais je suis persuadé que le plus souvent, le frein est technique. C'est bien, comme l'indique la circulaire, une question de crédibilité des réformes engagées par le gouvernement. Toutefois, c'est un manque de crédibilité juridique des lois, plutôt que de crédibilité politique du gouvernement, que traduit  le retard dans la prise des décrets d'application.